« En matières d’animation »

, par  Mick Miel , popularité : 6%

Adam Elliot (23 mn), Michael Dudok de Wit (8 mn 30s), Vincent Bierrewaerts (10 mn), Regina Pessoa (7 mn 46 s), Pjotr Sapegin (8 mn), Florence Miailhe (10 mn) (2007)

Présentation et vidéos sur le site des films du préau

Ce programme composé de 6 films d’animations met en valeur la diversité des styles graphiques (peinture, gravure, crayon à papier) et l’inventivité des techniques d’animation (volume, animation traditionnelle). Ce corpus permet aussi, par la comparaison, de mettre en relief différents choix de mise en scène.

Harvie Krumpet de ELLIOTT Adam Benjamin, Australie 2003- pâte à modeler

Synopsis

Harvey Krumpet s’offre comme le résumé d’une vie, celle d’un certain Harvek Milos Krumpetzki, né dans la campagne Pologne en 1922, atteint du syndrome de la Tourette, orphelin assez jeune et émigrant en Australie après l’invasion de la Pologne par les Nazis.Le récit en voix off de cette existence est entrecoupé de cartons qui énoncent des faits entre le dérisoire et l’absurde, à l’image de l’enseignement de sa mère, illettrée, mais ayant inculqué à son fils un certain nombre de faits.

La vie de Harvey Krumpet est rythmée par des moments forts : sa maison brûlée, ses parents retrouvés glacés, nus dans la neige, son opération au cerveau, le moment où il est frappé par la foudre, sa découverte qu’à la suite de cet incident, sa tête est un aimant, sa révélation quand Horace, via une statue dans un parc s’adresse à lui, son cancer de la testicule, sa rencontre avec une infirmière, la fille handicapée victime de la thalidomide qu’ils adoptent et qui devient une grande avocate installée aux États Unis, la mort de sa femme, sa fin de vie dans une maison de retraite.

Mise en scène

Harvie Krumpet emprunte sa forme à la biographie, mais une biographie qu’un auteur facétieux aurait orchestré avec un bel arbitraire, la truffant d’événements surprenants au point d’en faire un récit picaresque, au sens où on l’entend communément soit un « récit de formation et de tribulations, conté avec alacrité », histoire d’un héros sympathique et malchanceux, qui change sans cesse de milieu, de ville, le plus souvent bien malgré lui. Le héros picaresque fait des rencontres inattendues, connaît des revers de fortune, se retrouve fréquemment démuni.

Le récit est pris en charge par la voix off. Les plans plus ou moins animés illustrent ce qu’énonce la voix dans une composition qui emprunte à la rhétorique photographique. Des cartons, énoncés de faits, interrompent le récit. Ils sont de deux sortes : illustrés de dessins naïfs, on les imagine extraits du carnet que porte toujours sur lui Harvie Krumpet ; numérotés et inscrits sur fond noir, on les lit comme des sélections de l’auteur du film en contrepoint des scènes.

Un des traits dominants du film est sans conteste l’humour et le décalage, éternel ressort du comique, son arme principale. Le premier des décalages est de consacrer une biographie, genre qui traite essentiellement des hommes célèbres, à un anonyme, un sans grade, qui plus est simple d’esprit. Le carton liminaire annonce la couleur en catégorisant différentes sortes de « grands hommes » pour arriver, après les points de suspension à nommer les « autres ». Le laconisme des énoncés, tant écrits que ceux émis par la voix off, en relation avec les événements contés, soit absurdes, soit tragiques, constitue un autre décalage. À deux reprises, après le plan d’une tombe, un carton fait rebondir notre esprit. Après la mort des parents retrouvés gelés, une réflexion avance que certaines grenouilles revivent quand on les décongèle, pas les humains (fait n°116). Après le décès du médecin qui a trop fumé le fait 142 est mentionné : « la cigarette est un substitut du sein maternel ». La mort clôt, mais le carton permet de réamorcer le film, et, par un trait d’humour, d’éviter de s’appesantir sur un drame. Nombreux sont ainsi les types de décalages (entre musique et action, entre situation des personnages et leur réaction…), on ne saurait tous les énumérer.

Rire du malheur des autres est souvent présenté comme répréhensible alors que cette attitude est au fondement même de l’effet comique. Un individu qui se cogne contre une vitre ou qui trébuche faire rire en ce qu’il est comme du mécanique plaqué sur du vivant comme le disait Bergson, mais aussi parce qu’il s’agit d’un accident. Le philosophe écrit dès les premières pages de son « Essai sur la signification du comique » que le comique exige « quelque chose comme une anesthésie momentanée du cœur », uns suspension du sentiment. Harvie Krumpet fait rire en racontant les mésaventures d’un individu qu’on dirait poursuivi par la guigne, moqué par ses camarades dès l’enfance et confronté à des situations dramatiques a priori peu drôles comme la démence d’une mère, la perte de proches, une opération du cerveau, un cancer, la maladie d’Alzheimer pour ne citer qu’eux. Nous rions de l’accumulation de ses malheurs, du ton égal avec lequel cela est raconté et aussi d’une humeur qui se maintient chez ceux sur lequel le destin s’est acharné.

Il est incontestable que la matière des personnages, figures en pâte à modeler, permet plus facilement qu’on s’autorise à rire de ces malheurs. L’apparence des personnages est d’emblée drôle, les yeux globuleux, souvent le seul élément animé de l’image, le particulier tremblement de la bouche dont Harvie a hérité de sa mère… La prouesse du film n’est-elle pas d’ailleurs de nous toucher à travers le destin d’un improbable simple d’esprit, vulgaire être de plastiline. C’est d’abord que nous avons besoin de croire et que cette croyance passe finalement plus par le talent du conteur, la mise en scène que par le réalisme ontologique de l’image cinématographique. On le sait, combien de films dits réalistes, mettant en scène des acteurs en chair et en os dans des décors naturels, n’atteignent pas ce degré d’émotion, cette capacité qu’a le film d’Adam Elliot de nous toucher jusqu’à interroger notre propre existence et notre rapport au monde.

Le principe de donner le sentiment que les personnages posent devant l’objectif, avec ce mélange de spontanéité, de maladresse et de naïveté contribue à nous les attacher. Et peu à peu nous partageons leur existence. D’autant que le film, tout en restituant la trajectoire de vie comme une succession de hasards, nourrit l’arbitraire de cet apparent désordre d’échos sur lesquels le commentaire ne s’appesantit pas. À la mort du médecin, l’enchaînement tombe/fait (« la cigarette est un substitut du sein maternel »), renvoie au moment de la mort des parents et donc à la perte de la mère. On ne saura pas pourquoi ses parents se sont retrouvés nus en plein hiver sur un vélo. Mais quand Harvie a la révélation des paroles d’Horace – popularisées par un compatriote d’Adam Elliot dans le film à succès le Cercle des poètes disparus – il décide de se livrer au naturisme. Dans la maison de retraite, en écoutant la chanson « God is Better than Football », il se met à rêver à un ballet de chaises roulantes, imaginaire puisé dans les premières images découvertes dans son téléviseur, une chorégraphie hollywoodienne de Busby Berkeley. Au-delà de la monotonie et du désordre apparent d’une vie sans éclat particulier, un univers personnel se constitue. Finalement, nous nous attachons à Harvie et quand la une du journal parle de « simple d’esprit », cette vérité extérieure, qui soudain bouscule notre perspective, nous apparaît comme décalée, très limitative, presque injuste.

Si le film nous fait rire des malheurs d’Harvie, personnage étrange, autre, il arrive en même temps à nous le percevoir comme un autre nous-même, un frère humain. Rien n’est plus éloigné que les grands mots ou les bons sentiments dans le comique ici à l’œuvre. Il n’en demeure pas moins que Harvie Krumpet s’affirme comme une ode à la tolérance et une leçon d’humanisme.

Technique d’animation

animation de marionnettes en plastiline, une pâte à modeler spéciale qui résiste mieux que la pâte à modeler des enfants, en particulier à la chaleur des projecteurs. Les marionnettes sont constituées de squelettes (généralement métalliques), situés dans un corps (fabriqué en latex, bois, ou autres matières souples ou dures) et recouvert d’habits. Les personnages et objets en pâte à modeler (plasticine , ou plastiline) sont parfois fabriqués autour d’un squelette, mais souvent, l’absence de squelette leur permet de subir les transformations les plus fantaisistes.

Nick Park créateur de Wallace et Gromit déclarait à propos de cette technique : « Ma fascination pour la plasticine - la pâte à modeler utilisée pour les films d’animation - a beaucoup à voir avec le modelage, le pétrissage. Vous pouvez manipuler ce matériau de manière quasi organique. Vous pouvez saisir avec une infinie précision tout un éventail d’expressions, de regards, d’attitudes. C’est une immense satisfaction que de voir votre création prendre vie. La plasticine a aussi l’avantage d’apporter une activité concrète à un travail d’imagination : les créatures de pâte à modeler ont toujours les pieds sur terre, elles ont un côté un peu lourd. Mais dans le même temps, vous pouvez bâtir avec elles un monde complètement détaché, léger, farfelu. »

Pistes de travail

Notez tous les faits mentionnés et décrivez la diversité des rapports qu’ils entretiennent avec les plans qui leur sont contigus.

Harvie Krumpet nous fait croiser une bonne dose de manières d’être malade ou de mourir. On peut les inventorier. Qu’est-ce qui fait que ce qui pourrait être uniquement dramatique nous laisse sur un fil entre rire et émotion ? Comment interviennent les maladies et les morts ?

Un des effets du film tient à la confrontation, à la distorsion de plusieurs points de vue sur un événement ou une personne. Cela joue entre la voix off et l’image, entre ce qui arrive et le ton avec lequel cela est raconté par la voix off ou évoqué par les journaux. Donnez quelques exemples de ces nuances dans les points de vue et analysez l’effet produit.Mais, il arrive aussi que notre rire naisse de la proximité entre ce qui est dit et ce qui advient. L’information apparaît comme redoublée. Donnez là aussi des exemples et expliquez ce que cela provoque.

Jacques Kermabon, le 2 octobre 2006

Père et fille de DUDOK DE WIT Michael, Pays-Bas 2000 - Encre de chine, peinture sur cellulo et aquarelle

Synopsis


Un père dit au-revoir à sa fille et s’en va. Elle attend son retour des jours, des saisons, des années...


Mise en scène

• Un film chargé d’émotion

Ce court-métrage se distingue de la sélection par la charge émotive qu’il dégage. L’histoire racontée, celle de l’affection d’une fille pour son père mais aussi celle de la perte d’un être cher, peut serrer le cœur du spectateur. Mais ce sont surtout des choix de réalisation en parfaite symbiose avec l’histoire racontée qui sont à l’origine de la douceur et la mélancolie qui émanent du film.

 Des procédés favorisant l’introspection

La musique de Normand Roger (compositeur d’un autre film de la sélection Histoire tragique et fin heureuse) qui enveloppe totalement le film et occupe toute la bande son (pas de bruits ou de paroles) joue un rôle très expressif. Jouée au piano et à l’accordéon, elle est construite, comme le film, selon le principe de la ritournelle.
Cyclique, l’histoire ne progresse pas de façon linéaire. Elle évolue petit à petit vers un retour au point de départ : les retrouvailles entre le père et sa fille. En effet, l’histoire se structure autour du motif du cercle qui irrigue le film. Une importance remarquable est accordée à cette forme plastique : la roue des vélos, un détail a priori, est le seul élément souligné par des gros plans. La roue apparaît en surimpression au dessus d’un personnage puis revient au générique de fin. De même, le sens de déplacement des personnages, de droite à gauche qui contrarie notre mode de lecture occidental implique un retour dans le passé. Nous sommes projetés dans un âge d’or, l’enfance, à la recherche d’un temps perdu.

 Un sentiment d’absolu

La fixité du cadre et les choix d’échelle de plan sont surprenants. Dans la plupart des films, les personnages sont au moins filmés en plan moyen et en plan taille. Ici, le réalisateur utilise majoritairement des plans d’ensemble ou de demi-ensemble, réduisant les personnages à des éléments parmi d’autres. Souvent dessinés en ombres chinoises, ils apparaissent comme de petits êtres à l’échelle de la nature qui se déploie dans le cadre. Les plans serrés existent mais ils sont consacrés aux éléments naturels : vent courbant les hautes herbes, nuages, feuilles des arbres…
Cette importance donnée à la nature, au temps qui passe à travers les saisons qui s’enchaînent, permet de relativiser l’existence des personnages. Le spectateur peut prendre la mesure, dérisoire, d’une vie qui s’écoule à l’échelle du monde. Ce choix teinte le film d’un aspect réflexif, créé une ambiance propice à la méditation.

 Une ambiance veloutée

Le réalisateur a choisi de réaliser un lavis pour représenter ses décors. Cette technique consiste à diluer plus ou moins une couleur afin d’obtenir des dégradés et des effets de fondus. Contrairement à Au premier dimanche d’août où la peinture était matière et couleur, Father and daughter joue plutôt sur l’intensité de la couleur présente en couche infime.
Les bruns, les sépias, les orangés de chaque plan sont délicatement harmonisés grâce à des raccords en fondus. Pour lier les plans entre eux lors du montage, le réalisateur a souvent préféré ce type de raccord au traditionnel raccord cut. Ce choix donne non seulement l’impression du temps qui passe (pour condenser une vie en 9 minutes, ce court film a recourt à d’importantes ellipses) mais diffuse également une grande sérénité. En effet, le fondu permet de passer d’un plan à un autre en douceur : le premier plan disparaît progressivement à mesure que le second apparaît.

Pistes de travail

• Animation et mise en scène

Ce programme composé de 6 films d’animations met en valeur la diversité des styles graphiques (peinture, gravure, crayon à papier) et l’inventivité des techniques d’animation (volume, animation traditionnelle). Ce corpus permet aussi, par la comparaison, de mettre en relief différents choix de mise en scène.
Si il paraît indispensable de s’intéresser au graphisme et à l’animation dans un programme aussi spécifique, il ne faudrait pas s’y restreindre. Le « dessin animé » fait partie intégrante du cinéma et c’est pour expliciter cette idée qu’on préfère employer aujourd’hui le terme « film d’animation ».
Comme dans un film avec des personnages en chair et en os, le réalisateur met en scène ses personnages. Techniques d’animation et graphisme complexifie l’exercice car ils s’ajoutent aux paramètres déjà existant dans le cinéma mettant en scène de véritables acteurs : taille de plan, mouvements de caméra, déplacement des personnages, axes de prise de vue, montage, traitement du son… Ce dernier élément est souvent oublié.
S’il est vrai que par définition le son ne se voit pas c’est justement pour cela qu’il joue un rôle déterminant au cinéma. Il agit souvent de façon beaucoup plus subtile que l’image en structurant un film, en caractérisant des personnages, en complétant des décors, etc … Ainsi, invitons les élèves à regarder mais aussi à tendre l’oreille.

• Initiation à l’analyse de film en 3 étapes

1- Formuler sa réception du film, son ressenti (Dans ce film on dirait que …, On a l’impression que…) afin de dégager des pistes de travail.
2- Se questionner sur les moyens mis en œuvre pour produire l’effet repéré. Autrement dit, dégager les notions de fond et de forme (choix de réalisation : cadre fixe, changement de rythme du montage…) afin d’examiner les rapports entre les elles.
3- Hiérarchiser les choix dans un texte rédigé.

• Questions sur le chemin de l’analyse

Qu’est ce que le film a-t-il produit sur moi en terme de ressenti ?
De quoi est faite la bande son ? Relever qu’aucune parole n’appuie l’histoire, pourtant, le spectateur comprend ce qui se déroule.

Quelle est la période de temps contenue dans le film ? Comment le réalisateur nous fait il ressentir le passage du temps, les ellipses ?

Qui est le personnage principal ? Comment réussit on à l’identifier ?

Comment est elle filmée (échelle des plans) ?

Comment est elle représentée (détails ? Ombre ?) Quelle est la place des personnages dans le cadre ?

Identifier les trois parties qui structurent le film

Cécile Paturel, le 24 juin 2008


Autour du film

L’influence de l’orient : Repérer les influences de la culture orientale qui irrigue ce film :

 les techniques : le lavis, l’encre de chine, les formes épurée (le rond et la ligne) sont des reprises de la tradition graphique chinoise (voir le travail de l’animateur chinois Te Wei)

 la philosophie : la conception cyclique du temps, la place laissée à la nature, l’importance des symboles

Le portefeuille de Vincent Bierrewaerts, France, Belgique - 2003 - 10 mn - Dessins animés papier et mine de plomb

Synopsis

Un homme qui vient de se voir refuser du travail trouve sur son chemin un portefeuille. Une part de lui-même le ramasse tandis que l’autre part continue son chemin avec indolence. En rentrant chez lui, la partie qui a ramassé le portefeuille découvre dans celui-ci une grosse liasse d’argent. Le personnage se divise encore une fois. Une partie de lui-même va dépenser l’argent tandis que l’autre va à la recherche de son propriétaire. Arrivé chez ce dernier, un autre événement inattendu provoquera encore une division du personnage.

Mise en scène

* Entre exercice de style et expérimentation

Dans ce film, l’histoire passe au deuxième plan : c’est avant tout l’originalité avec laquelle on nous la raconte qui retient l’attention. Le scénario sert de prétexte à plusieurs expérimentations visuelles et questionne certains aspects fondamentaux du cinéma.En effet, le réalisateur Vincent Bierrewaerts prend non seulement le parti de raconter plusieurs histoires avec plusieurs personnages princiapaux dans le même film (c’est ce qu’on appelle le film Choral) mais il décide surtout de superposer ces quatre histoires dans le même cadre. Depuis Short cuts de Robert Altman, le cinéma a prisé ce type de films (voir aussi Magnolia de Paul Thomas Anderson) où les histoires s’entremêlent grâce à un montage parallèle (Intolerance de Griffith) ou alterné. Le split screen (littéralement « écran éclaté ») permet quand à lui, de dérouler plusieurs histoires ou plusieurs points de vues simultanément grâce à la division du cadre en plusieurs autres : le déroulé linéaire de la durée du film concentre la durée de plusieurs histoires ou points de vue (voir Time Code de Mike Figgis ou le film d’animation Le Garçon qui a vu l’iceberg de Paul Driessen). Le split screen condense le temps mais préserve l’espace car chaque histoire possède son cadre respectif. Dans Le portefeuille, Vincent Bierrewaerts réalise quelque chose d’encore inédit au cinéma : il concentre le temps et l’espace.Ce film accomplit également un fantasme très cinématographique, celui de la déclinaison des diverses possibilités scénaristiques à partir d’un événement. Que se serait il passé si le personnage avait fait un autre choix ? Ce jeu sur les possibilités mis en œuvre, entre autres, par Alain Resnais dans ses films Smoking/ No smoking en 1993 rappelle d’une certaine façon le processus d’écriture d’un scénario. Pour écrire une histoire, le scénariste doit envisager la multitude de destinées qui découlent des décisions qu’il fera prendre à son personnage. En un sens, la forme du film mais aussi son graphisme ébauché qui exhibe sa fabrication, met en abyme le cheminement qui mène à la construction d’une histoire.Enfin, le film s’empare avec plaisir de la question du dédoublement du personnage. Ce véritable tour de magie est impossible à réaliser avec des personnages en chair et en os sans avoir recours aux effets spéciaux. Georges Méliès a réalisé avant bien d’autres plusieurs films dans lesquels le personnage (joué par lui-même) se démultiplie : dans L’homme orchestre 1900 par exemple, il assume à lui seul la direction et l’exécution des morceaux de musique en se dédoublant. Le cinéma d’animation, lui, permet facilement cette jubilation visuelle qui rappelle le processus d’animation d’un personnage dessiné : il faut assembler plusieurs « clones » d’un même personnages pour pouvoir recomposer le mouvement. Lorsque les personnages se superposent avant chaque dédoublement, nous avons l’impression d’assister à la phase de création du mouvement.

* Une mise en scène au service de la lisibilité de l’histoire

Ce dispositif singulier mis en place par le réalisateur a pour inconvénient de complexifier la compréhension du film. En effet, plus le film progresse, plus le réseau de personnages se densifie en déployant une nouvelle trame narrative à chaque dédoublement, sans compter que les différents protagonistes sont physiquement identiques. Pour ne pas perdre le spectateur, la mise en scène va alors se mettre au service de la lisibilité de l’histoire. La division colorée des personnages en deux couleurs complémentaires (Vert/ magenta, cyan/ orangé) - couleurs diamétralement opposées sur le cercle chromatique - insiste sur la divergence des choix du personnages. Mais ce parti pris agit aussi comme un efficace repère visuel car les couleurs complémentaires contrastent fortement entre elles et permettent donc au spectateur d’identifier les histoires qui se superposent dans le même espace. Sur un décor gris, le personnage transmet sa couleur aux éléments qu’il utilise, traçant ainsi avec précision l’espace propre à son histoire. Le souci de clarté du réalisateur l’amène aussi à épurer le décor. Une poubelle et un feu de signalisation pour représenter une rue, un bureau pour suggérer les locaux de l’éditeur au début du film : les lieux sont à peine esquissés, mais pourtant nous les identifions sans peine grâce aux sons. La bande son ne comporte aucune paroles car si les images se superposent en restant identifiables, la même opération se révèle impossible avec des voix car leur étagement produirait un brouhaha incompréhensible. Ce sont donc les bruits qui peupleront cet univers muet et complèteront efficacement la sobriété du décor. Les klaxons, le ronron des moteurs, le piaillement des moineaux suggèrent un espace hors champ et donnent de l’amplitude à l’espace de la rue qui est représentée, tandis que la musique désignera immédiatement le magasin comme étant un disquaire. Le bruit aigu nous restitue la matière métallique lisse et dure de la corbeille dans laquelle atterri le portefeuille et nous savons que les escaliers gravis par le personnage sont en bois car le bruit des pas est plutôt grave et sourd. Il est intéressant de remarquer que le réalisateur offre ici une alternative au travail visuel de la matière et de la texture dans Au premier dimanche d’août. Ici, c’est la bande son qui assume ces paramètres.

* Graphisme et qualité d’animation

Ce court métrage est réalisé selon la méthode d’animation traditionnelle : l’animation sur papier qui consiste à animer un personnage dessiné.
Comme pour toute animation, 24 images par seconde sont nécessaires pour donner l’illusion d’un mouvement. Chaque dessin représente une phase du mouvement du personnage : plus le nombre de dessins sera important (autrement dit, plus le mouvement sera décomposé en dessins), plus l’animation sera réaliste. Si l’animation requiert théoriquement 24 dessins par secondes, les animateurs peuvent gagner du temps en multipliant les prises de vues d’une même image. Par exemple, si chaque dessin est capturé deux fois, le rendu est réalisé ainsi : 12 x 2 images = 24 images, pour une seconde de film. C’est le nombre de dessins qui détermine la fluidité d’une animation. Dans Le portefeuille, le graphisme élémentaire réalisé aux crayons (papier et couleur) et la fixité du cadre valorisent la fluidité de l’animation de certaines scènes (la course dans les escaliers par exemple) ainsi que la qualité de représentation des gestes et des attitudes. Le réalisateur travaille les déplacements selon la physionomie des personnages : agilité du (des) personnage(s) principal (aux) contre course pesante et essoufflée du gros chef de bande, balancement d’épaules du gros-bras et raideur maniéré du serveur…

Pistes de travail

* Animation et mise en scène

Ce programme composé de 6 films d’animations met en valeur la diversité des styles graphiques (peinture, gravure, crayon à papier) et l’inventivité des techniques d’animation (volume, animation traditionnelle). Ce corpus permet aussi, par la comparaison, de mettre en relief différents choix de mise en scène.Si il paraît indispensable de s’intéresser au graphisme et à l’animation dans un programme aussi spécifique, il ne faudrait pas s’y restreindre. Le « dessin animé » fait partie intégrante du cinéma et c’est pour expliciter cette idée qu’on préfère employer aujourd’hui le terme « film d’animation ». Comme dans un film avec des personnages en chair et en os, le réalisateur met en scène ses personnages. Techniques d’animation et graphisme complexifient l’exercice car ils s’ajoutent aux paramètres déjà existant dans le cinéma mettant en scène de véritables acteurs : taille de plan, mouvements de caméra, déplacement des personnages, axes de prise de vue, montage, traitement du son… Ce dernier élément est souvent oublié. S’il est vrai que, par définition, le son ne se voit pas, c’est justement pour cela qu’il joue un rôle déterminant au cinéma. Il agit souvent de façon beaucoup plus subtile que l’image en structurant un film, en caractérisant des personnages, en complétant des décors, etc … Ainsi, invitons les élèves à regarder mais aussi à tendre l’oreille.

* Initiation à l’analyse de film en 3 étapes

* Formuler sa réception du film, son ressenti (Dans ce film on dirait que …, On a l’impression que…) afin de dégager des pistes de travail.
* Se questionner sur les moyens mis en œuvre pour produire l’effet repéré. Autrement dit, dégager les notions de fond et de forme (choix de réalisation : cadre fixe, rythme du montage, traitement du son…) afin d’examiner les rapports entre les elles.

* Hiérarchiser les choix dans un texte rédigé.

* Questions sur le chemin de l’analyse

 les spécificités du film :Qu’est ce qui est frappant dans ce film ? En quoi est il innovant ? Combien d’histoires sont racontées ? Combien y a t il de personnages ? Quels sont les jeux visuels produits par la surimpression (mélange des couleurs, réunification provisoire des corps) ? Quelles sont les implications sonores de ce choix - Le graphisme et l’animationLe dessin évoque le crayonné : avec quels outils sont dessinés les personnages ? Avec quel degré de précision sont ils dessinés ?Qu’est ce qui les caractérise (attitudes, déplacements) ? Autour du film

* Les couleurs

Comme dit la fiche technique du film http://www.lesfilmsdunord.com/catalogue/bonus/leportefeuille_bonus1.pdf le Portefeuille « explore la physique des couleurs ». En effet, le réalisateur a utilisé des couleurs proches des couleurs complémentaires lors de la division des personnages. Les couleurs complémentaires, jaune et violet, vert et magenta, orangé et cyan, sont celles qui s’opposent diamétralement sur le cercle chromatique. Elles se valorisent mutuellement car elles contrastent fortement entre elles. Les couleurs ont cependant été ajustées afin de rendre du noir lors de leur superposition des quatre à la fin du film mais pas lors des croisements des personnages.

* Les bifurcations du scénario

Hasard, libre arbitre et déterminisme sont traités en virtuose par Alain Resnais qui utilise ce principe dans les films Smoking, No smoking, qu’il réalise en 1993. Il y déploie l’éventail des possibles liés à une situation initiale : que va-t-il se passer si le personnage joué par Sabine Azéma fume la cigarette qui se trouve devant elle ? Et si elle ne la fumait pas ? Six histoires vont engendrer de son choix.

Cécile Paturel, le 25 août 2008

Interview de l’auteur

Histoire tragique avec fin heureuse de Regina Pessoa France, Canada, Portugal - 2006 - 7 mn 46 - Gravure animée

Synopsis

Il suffit d’avoir un cœur d’oiseau qui bat très fort pour se sentir différent. Une petite fille en fait la troublante expérience dans son village. Aussi bien alors se faire oublier et se fondre douillettement dans la foule. Mais il serait si bon de prendre des ailes et s’envoler... Et si c’était là le meilleur moyen de trouver dans le cœur des autres la place dont on a toujours rêvé ?

Mise en scène

Regina Pessoa travaille en recouvrant d’abord en partie d’encre de Chine ses personnages dessinés sur papier glacé. Dans un deuxième temps, elle gratte l’encre pour faire apparaître les détails de ses personnages. Elle ne construit donc pas uniquement son dessin en ajoutant mais en retranchant de la matière à l’aide d’une lame pour gratter la couche supérieure et révéler la lumière.

Cette technique est un parti pris très marqué. Loin de la douceur du pinceau des lavis de Father and daughter, l’opération porte en elle-même une certaine violence(il faut une lame acérée pour faire apparaître la forme). Le rendu qui s’apparente à la gravure est très contrasté et donne des formes saillantes.

Régina Pessoa choisit cette pratique pour traiter d’un sujet très personnel : son film qui parle de la différence est dédié à sa mère, qui a souffert de schizophrénie.

* Un film d’auteur

La dédicace inscrite au générique d’ouverture nous donne un premier indice sur la dimension personnelle que porte ce film. Rédigée en portugais, la langue maternelle de la réalisatrice, elle permet aussi d’identifier la voix off. Délibérément féminine, jeune, claire, marquée par un accent prononcé … elle pourrait être celle de la réalisatrice Régina Pessoa (ce n’est cependant pas le cas). Ces choix humanisent la voix off et participent à l’implication du spectateur. Nous sommes prêts à suivre la narratrice dont le ton mystérieux nous interpelle autant que la formule propre aux contes « Il était une fois… ».

Le travail de fourmi, long et artisanal que représente la réalisation de ce film nous renseigne aussi, a posteriori, sur la détermination de la réalisatrice à faire ce film. Mais c’est avant tout l’intensité émotionnelle et l’énergie qu’il dégage qui impose ce film comme un travail profondément personnel et singulier.

* Un film vivant

Les nombreux mouvements de caméra contenus dans Histoire tragique le dotent d’une remarquable vitalité. Le film s’ouvre sur un mouvement complexe qui semble quitter le corps d’un oiseau pour se fixer sur le sol. Le mouvement inverse refermera le film : nous quitterons alors le village pour nous envoler avec la petite fille à laquelle nous nous sommes identifiés tout au long du film. Ces mouvements de travellingDéplacement de la caméra (avant, arrière, latéral, etc.). qui structurent ce court-métrage sont associés à la fillette. Contrairement aux habitants du village représentés en plan fixe, son cadre à elle est presque toujours en mouvement. Les travellings l’accompagnent ou bien nous installent à sa place via des points de vue subjectifs lors des ses déplacements (vélo, course, envol).

La bande sonore donne littéralement un cœur au film. Les premières notes de guitare électrique et leur réverbération au début du film sonnent comme une éclosion, une entrée dans la vie. Le rythme binaire qui s’y ajoute arrive au moment de l’apparition de la fillette à l’écran, et ce cœur qui palpite ne cessera définitivement qu’à la fin du film, au moment de l’envol du personnage. Histoire tragique commence comme une naissance et se termine comme dans un dernier soupir.

Grâce au cinéma d’animation qui permet de transgresser les limites rigides du corps, le spectateur pénètre à plusieurs reprises à l’intérieur du personnage. C’est le cas au début du film. Filmée en plan fixe, la fillette à vélo roule en direction de la caméra et semble passer à travers elle. Le plan moyen se transforme en un très gros plan intrusif dans son cœur battant.

En y regardant de plus près, ce voyage au centre du corps, dans l’intime donc, concerne le film dans son entier. En effet, la technique graphique qui donne un aspect fibreux aux formes, évoque le dessin d’anatomie (la contre plongée sur la rue avec ses perspectives déformées représente clairement un muscle), c’est-à-dire la représentation conventionnelle de l’intérieur du corps.

Par ailleurs, l’animation fait vibrer en permanence les stries du dessin. Nous sommes comme immergés dans un organisme : tout à l’air vivant.

* Le son : élément dramatique et identité sonore du personnage

Comme l’annonce la voix off au début du film (« il était une fois une petite fille dont le cœur battait plus vite que celui des autres personnes ») le son va jouer un rôle important dans l’histoire. En effet, ce sont les battements du cœur de la fillette qui marquent sa différence, indisposent la population et sont à l’origine de son exclusion. Mais ce rythme dynamise aussi le film (il lui donne sa cadence) et en sert de base à la composition musicale de Normand Roger (compositeur de la musique de Father and daughter, un autre film de la sélection). Ainsi il alterne entre deux conditions : de bruit interne à l’histoire (le cœur) et donc entendu par les personnages, il devient parfois élément musical (la cadence) externe à l’histoire.

La musique, elle, caractérise la fillette. A tous moment, elle nous renseigne sur son état psychique. Grave et tourmentée dans les moments de crise, elle s’emballe et monte en intensité. Douce et aérienne, elle s’apaise lorsque tout va bien. L’adoption de la fillette par la population est d’ailleurs traduite de manière purement sonore. Dans la dernière partie du film, lorsque les villageois s’habituent aux battements de son cœur, les bruits du village (caisse enregistreuse, rebonds du ballon, martèlement des talons…) intègrent alors la partition musicale. Ils deviennent des éléments de rythmique. Après l’envol de la fillette, ces sons redeviennent bruits. Ils servent alors à souligner le silence. Le spectateur peut alors lui aussi ressentir le grand vide sonore qu’elle laisse derrière elle.

* Un conte poétique

Comme l’annonce la voix off, ce film est un conte. La formule « il était une fois … » connu de tous, place immédiatement le récit du côté de l’imaginaire et du fictif. L’histoire n’est pas ancrée dans un temps précis, elle ne donne pas de repères spatiaux non plus. Ces imprécisions éloignent le récit de la logique du réel : dans un conte les personnages peuvent se transformer en oiseaux sans gène. Si l’on compare ce film aux contes pour enfants, la représentation de la fillette, à l’opposé des canons de l’enfance, peut surprendre. Elle est ridée comme une vieille dame, son corps est chétif et décharné. Pas de couleurs mais du noir et blanc. Ces choix radicaux nous éloigne de la fantaisie divertissante. Le film gagne ainsi en profondeur. Régina Pessoa réalise un conte sombre, profond mais aussi poétique. En effet, le film ne se termine pas de façon définitive : le scénario n’apporte pas de réponse claire à la disparition de la fillette mais laisse la place à l’interprétation. S’agit il d’un suicide ? La rythmique binaire du cœur s’arrête en effet au moment de l’envol. Mais l’expression « déployer ses ailes » peut aussi être entendue au sens figuré : la jeune fille a pris son envol, trouvé sa propre voie. Cette fin ouverte intrigue le spectateur. En nous questionnant, nous nous projetons et nous nous impliquons dans l’histoire.

Autour du film

* Métamorphose et adolescence.

Si l’arrêt caméra est un des premiers effets spéciaux permettant la transformation (la légende veut que la manivelle de la caméra des les frères Lumière se soit enrayée pendant qu’ils filmaient une scène de rue. Quelques minutes plus tard, une fois le problème résolu, ils se remirent à tourner le film interrompu sans que la caméra n’ait bougé d’un pouce. Lors de la projection, l’omnibus qui passait à l’écran fut comme par magie remplacée par un corbillard, qui avait pris la place de l’omnibus dans l’intervalle) d’énormes progrès techniques ont été réalisés en la matière par des cinéastes très stimulés par un thème hérité de la littérature fantastique, celui de la métamorphose (Frankenstein, Docteur Jekill et Mister Hide…). La mise en scène d’un moment magique, le passage d’un corps à un autre constitue bien sûr un passionnant terrain d’expérimentation visuelle et trouve son équivalent réaliste dans une période de la vie : l’adolescence. En effet, cette phase de transition entre l’enfance et l’âge adulte produit les changements physiques les plus spectaculaires et s’accompagne de bouleversements psychiques et identitaires … Voici donc une véritable mine pour le cinéma qui trouve dans l’adolescence un excellent ancrage scénaristique. Des histoires comme celle de Spiderman, Hulk ou encore du Loup garou mettent en scène de jeunes hommes dont la métamorphose évoque la puberté : développement du système pileux, vêtements qui se déchirent sous la pression musculaire, mue de la peau …

Sans être jamais explicite à ce sujet, le court-métrage de Régina Pessoa peut être bien sûr considéré comme un film sur l’adolescence. La problématique du corps est au cœur du récit : il s’agit de faire accepter son corps aux autres et de l’apprivoiser soi même. La narratrice parle d’une « petite fille » mais nous dit qu’elle « commençait même à aimer son corps » alors qu’on voit sa poitrine naissante sous la douche. L’esthétique générale du film lié à son graphisme, son aspect vivant (voir développement ci-dessus) renforce encore cette idée.

Mais contrairement aux films précédemment cités, la métamorphose ne fait pas basculer le personnage du côté obscur. Le personnage de Régina Pessoa ne devient pas monstrueux, bien au contraire. Comme l’ont annoncés les travellings verticaux, c’est en oiseau, symbole de légèreté et de la liberté, qu’elle se change. Alors que le cinéma d’animation regorge de scènes de métamorphoses (c’est un exercice simple a réaliser et qui produit un bel effet visuel), la réalisatrice ne s’attarde pas sur la transformation de la fillette. Sans spectaculaire, elle montre sobrement le personnage prenant son envol, de dos en plan fixe.

Outils

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Un jour un homme acheta une maison de Pjotr Sapegin Norvège - 1998 - 8 mn - Pâte à modeler

Synopsis

Un jour, un homme acheta une maison. Mais quelqu’un l’habitait déjà. L’homme essaya de chasser l’habitant mais ce dernier, avec le temps, lui devint un être indispensable.

Mise en scène

* Techniques d’animation : le volume

Ce film ne peut pas être classé parmi les dessins animés à proprement dit car ses personnages ne sont justement pas « dessinés » mais réalisés en volume. Ce sont de petites figurines modelées dans de la plasticine qui s’articulent sur une armature en fer. Pour les animer, le réalisateur doit s’armer de patience (une qualité indispensable dans ce métier) : il devra fixer chaque phase du mouvement (il photographie chaque étape à l’aide d’une caméra) afin de recomposer, dans un deuxième temps, l’amplitude du geste en déroulant les images au rythme de 24 par seconde.

Cette technique d’animation se rapproche du cinéma traditionnel en studio car les personnages sont placés sur un décor à leur mesure. L’éclairage, les déplacements des personnages, les mouvements de caméra sont, à moindre échelle, les même que pour un tournage avec de véritables acteurs. L’étagement des décors peut facilement produire des effets de profondeur : amorce, flou-net, etc…

* Parodie et rupture de ton

Un jour un homme nous raconte la rencontre amoureuse entre un homme et un animal. Ce mélange des genres donne au film son principe narratif. L’humour du film se nourrit du film de genre qu’il parodie en empruntant puis en en détournant les codes internes. En sautant d’un genre à un autre ce film joue aussi sur la rupture de ton. Nos attentes liées à la logique codées des genres sont systématiquement détournées. L’absurde se substitue donc à la logique propre au documentaire animalier, au cartoon, au thriller et au mélodrame. Le spectateur déconcerté est donc prêt à accepter sans problème les scénarios les plus loufoques, comme l’histoire d’amour entre un homme et un rat.

* Documentaire animalier

Le film débute comme un documentaire animalier. Les hautes herbes en amorce du cadre nous indique que la caméra est tapie afin de saisir sur le vif la vie animale. La voix grave du narrateur, son ton didactique et doctoral, le champ lexical qu’il utilise (« la lutte pour la survie de l’espèce est régie par la loi de la jungle… ») nous sont familiers. Immédiatement, le spectateur reconnaît le type de film qui lui est proposé. Nous savons cependant que le principe même de l’animation (rien n’est dû hasard, tout est ouvertement construit) est incompatible avec le documentaire en général et encore plus avec le documentaire animalier basé, sur la fascination pour des images rares (gros plan d’un lion dévorant une gazelle, danse nuptiale des oiseaux…) car difficiles et risquées à obtenir. Et en effet, avant la fin du travelling, le sérieux de la voix off est désamorcé par la copulation caricaturale des deux insectes et le bruitage qui l’accompagne. Cette ouverture donne le ton du film - il sera parodique –, installe l’enjeu narratif : « Peut on avec certitude distinguer les amis des ennemis ? L’amour prend des chemins parfois mystérieux, on le trouve là où on l’attendait le moins … » et effectue la transition avec la séquence suivante « … Mais quand l’amour vous tient, tout peut arriver ».

La fin du travelling marque la fin de la parodie animalière et de la première séquence. La voix off change alors de registre. Le narrateur devient maintenant conteur « laissez moi vous raconter une histoire » pendant que l’image prend en charge la présentation du personnage principal.

* Cartoon

Le second genre appartient à une catégorie bien spécifique du cinéma d’animation : le cartoon. Le schéma narratif est basé sur les stratégies mises en œuvre pour capturer le rat et permet de réaliser gag sur gag (le salamirat, le piège à ours, le chat pitbull de Malaisie). La déformation des personnages, les défis aux lois de la vie (les personnages ne meurent jamais : le rat mange de l’arsenic sans problèmes) et de l’apesanteur (le chat fait un bond incroyable) ou encore les bruitages (Boïïïnng !) proches des onomatopées des comicsrappellent les aventures de Bip-Bip et Coyote de Chuck Jones par exemple, ou de bien d’autres, comme celles des personnages de Tex Avery.

Mais la vivacité et l’urgence du cartoon est plus difficile à obtenir avec une animation en volume. Si les personnages modelés se déforment facilement, le rythme est cependant beaucoup moins emballé que dans un classique du cartoon. Une fois de plus, la voix off comble cette lacune en jouant sur la dérision des situations « comment un piège à ours a-t-il bien pu arriver sur la maison sur la colline ? » et créé ainsi l’effet comique.

* Thriller

Autre séquence, autre genre. Le cartoon est délaissé pour une séquence frissons (to thrill = frémir). Ici, ce sont les codes du thriller qui sont parodiés. Ce genre place le spectateur sur le fil du rasoir et créé de la tension grâce au suspens. Comme définit par Hitchcock, maître incontesté en la matière, le suspens apparaît lorsque le spectateur possède plus d’informations que le personnage menacé.

Dans le premier plan, le chat Pitbull de Malaisie apparaît en légère contre plongée derrière un objet tranchant, le piège à loup, placé en amorce. Son attitude (faussement) menaçante, les dents aiguisées du piège et surtout la musique aiguë qui baigne l’ambiance nous confirment que le rat n’en a plus pour longtemps à vivre… En effet, le plan suivant propose un contre champ sur la victime. Il s’agit du point de vue de l’agresseur sur la future victime, déjà écrasée par une caméra en plongée.

Un GP désigne ensuite le piège à ours comme l’arme du crime. Il ne reste plus qu’à agir. Le montage retarde l’acte à accomplir, et la musique maintient la tension. Enfin, la victime et meurtrier sont réunis dans le même cadre : nous voyons le chat avancer lentement vers le rat sans que celui-ci ne s’en aperçoive : le suspens est à l’œuvre… jusqu’à ce que le narrateur ne le tourne à la plaisanterie.

* Mélodrame

Avant de revisiter le mélodrame, le film bascule de façon plus radicale. Alors que l’histoire était racontée à travers les yeux de l’homme, le point de vue va changer : c’est celui du rat que l’on va adopter.

Le long travelling accompagné d’un air mélancolique de piano tranche avec le rythme des séquences précédentes. Le narrateur nous invite à reconsidérer un personnage antipathique, le rat. En assumant ses pensées, le narrateur nous présente un personnage féminin doué de sentiments, sensible et amoureux.

Cet amour impossible fournit sa trame au mélodrame. Les envolées lyriques de la musique, le rapide zoom avant sur le personnage masculin mais aussi le décor défilant pour évoquer la course, sont des stéréotypes de ce genre dont le film Autant en emporte le vent de Victor Fleming reste emblématique.

A la fin du film, le narrateur renoue avec le conte en énonçant l’enseignement tiré de l’histoire. Mais il détourne nos attentes une ultime fois en n’énonçant, pour notre plus grand soulagement, qu’une partie de la célèbre phrase de conclusion des contes : « ils se marièrent… Exactement, oui, oui, ils se marièrent ». Ici, l’animation s’arrête comme dans un arrêt sur image. La vie du couple se feuillette désormais sur un album photo qui les présente dans les bras l’un de l’autre. Figés dans leur bonheur, pour eux, le temps s’est arrêté.

Pistes de travail

* Animation et mise en scène

Ce programme composé de 6 films d’animations met en valeur la diversité des styles graphiques (peinture, gravure, crayon à papier) et l’inventivité des techniques d’animation (volume, animation traditionnelle). Ce corpus permet aussi, par la comparaison, de mettre en relief différents choix de mise en scène.

Si il paraît indispensable de s’intéresser au graphisme et à l’animation dans un programme aussi spécifique, il ne faudrait pas s’y restreindre. Le « dessin animé » fait partie intégrante du cinéma et c’est pour expliciter cette idée qu’on préfère employer aujourd’hui le terme « film d’animation ».

Comme dans un film avec des personnages en chair et en os, le réalisateur met en scène ses personnages. Techniques d’animation et graphisme complexifie l’exercice car ils s’ajoutent aux paramètres déjà existant dans le cinéma mettant en scène de véritables acteurs : taille de plan, mouvements de caméra, déplacement des personnages, axes de prise de vue, montage, traitement du son… Ce dernier élément est souvent oublié.

S’il est vrai que par définition le son ne se voit pas c’est justement pour cela qu’il joue un rôle déterminant au cinéma. Il agit souvent de façon beaucoup plus subtile que l’image en structurant un film, en caractérisant des personnages, en complétant des décors, etc … Ainsi, invitons les élèves à regarder mais aussi à tendre l’oreille.

* Initiation à l’analyse de film en 3 étapes

* Formuler sa réception du film, son ressenti (Dans ce film on dirait que …, On a l’impression que…) afin de dégager des pistes de travail.
* Se questionner sur les moyens mis en œuvre pour produire l’effet repéré. Autrement dit, dégager les notions de fond et de forme (choix de réalisation : cadre fixe, changement de rythme du montage…) afin d’examiner les rapports entre les elles.
* Hiérarchiser les choix dans un texte rédigé.

* Exercices sur le chemin de l’analyse

 Quel est le ton de ce film ? La parodie est une forme d’humour qui détourne la mécanique d’une œuvre. Pour faire rire, il faut donc avoir compris le fonctionnement interne de l’objet à parodier. La parodie est donc un travail intéressant car pour être réussi, il faut non seulement se plier à l’analyse mais faire également preuve d’un sens de l’observation assez aigu.

Par ailleurs, ce type d’humour est exclusivement référentiel. Il ne fonctionne qu’à condition que le destinataire connaisse l’original (inutile d’aller voir Scary Movie, si vous ne connaissez pas le film Scream de Wes Craven). Aussi, l’identification des originaux peut être un bon exercice préparatoire (Les guignols de l’infos, Austin Power …) à la création d’un texte ou d’un film parodique (série télé, émissions de divertissement, jeux vidéos…). Ce genre de travail permet aux élèves de prendre de la distance par rapport à une pratique, un film, un personnage et de développer leur esprit critique.

Cécile Paturel, le 25 août 2008

Autour du film

* Le changement de point de vue

Avant de filmer une histoire, un cinéaste doit avant tout choisir de quel point de vue il va la raconter au spectateur : allons nous vivre les choses à travers l’expérience d’un seul personnage ? Dans ce cas, la caméra sera majoritairement placée dans l’environnement proche du personnage. Loin de ne montrer que des plans subjectifs (la caméra prendrait alors la place des yeux du personnage, qu’on ne verrait donc plus du tout dans le cadre), le cinéaste restreint notre connaissance d’un lieu et d’un espace à celle du personnage qui s’y trouve. Ainsi, nous adoptons sont point de vue au sens figuré du terme. Que le protagoniste soit moralement critiquable n’a plus d’importance, le spectateur, en s’y identifiant, devient beaucoup plus tolérant. Nous aurons tendance à souhaiter la réussite de l’évasion du tueur si c’est de son point de vue qu’est racontée l’histoire.

A l’opposé, le cinéaste peut choisir de nous tenir à distance des personnages en nous livrant plus d’informations qu’à eux même : nous pouvons les devancer dans un lieu, connaître les véritables intentions d’une nouvelle rencontre, etc… Des points de vue externes alterneront alors avec le point de vue de différents personnages sans vraiment en privilégier un en particulier. C’est le principe du suspens : en montrant le plan d’un assassin, couteau à la main, guettant le prochain passant au coin de la rue, puis le plan du personnage se dirigeant vers le coin de rue en question, le réalisateur joue sur nos nerfs, il tend le spectateur. Au contraire, si notre point de vue est restreint à celui du passant, le coup de couteau produira de la surprise.

Dans Le portefeuille, Pjotr Sapejin choisit de faire basculer le point de vue d’un personnage à un autre au cours du film. Ce procédé adopté par Hitchcock dans Vertigo, conduit à reconsidérer la première partie de l’histoire. En effet, le personnage du rat, méchant et répugnant du début nous apparaît sous un autre jour dans la deuxième partie : nous y découvrons un personnage totalement nouveau.

Beaucoup de réalisateurs ont exploité la question du point de vue au cinéma. Ron Howard par exemple s’en empare habillement dans Un homme d’exception : les points de vue y sont minutieusement équilibré de sorte que le spectateur soit maintenu pendant toute la durée du film dans un doute exquis.

Les fiches pédagogiques

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