Prosper Mérimée

, par  Mick Miel , popularité : 13%

Né à Paris dans une famille d’érudits, Prosper Mérimée fait des études de droit tout en menant une vie mondaine, fréquentant les salons littéraires, où il rencontre notamment Hugo, Musset et Stendhal. Il attribue ses premières publications, le Théâtre de Clara Gazul (1825) et la Guzla (1827), à des auteurs aussi imaginaires qu’exotiques : cette mystification littéraire fait grand bruit et attire bientôt sur lui l’attention du public. En 1828, il fait représenter la Jacquerie, scènes féodales, où il tâche de « donner une idée des mœurs atroces du XIVe siècle ». Il publie ensuite un essai historique, la Chronique du règne de Charles IX (1829), ouvrage essentiellement constitué de portraits et de scènes typiques dans lesquelles l’Histoire semble n’être qu’un prétexte.

Favorable au régime de Juillet lors des événements de 1830, il prend ses distances avec le mouvement romantique. Il est nommé à différents postes dans la haute administration puis, en 1834, inspecteur général des Monuments historiques. Cette fonction le mène à parcourir la France pour y recenser les monuments en péril et lui permet de sauver nombre de vestiges médiévaux. Il est élu à l’Académie française en 1844. Il bénéficie de l’appui de la future impératrice Eugénie. Après le coup d’État de 1851, il siège au Sénat et devient un proche de Napoléon III, avec lequel il projette même d’écrire un livre sur Jules César. Il meurt à Cannes quelques jours seulement après la chute de l’Empire, en septembre 1870.

Auteur prolifique, Mérimée doit surtout sa célébrité à des nouvelles d’inspiration très diverse, écrites dans un style remarquable de concision. La plupart d’entre elles sont d’abord publiées en revue (notamment dans la célèbre Revue des Deux Mondes). Paraissent ainsi en 1829 l’Enlèvement de la redoute, Mateo Falcone et Tamango.

En écrivant les Âmes du purgatoire (1834), qui reprend le mythe de Don Juan, Mérimée s’oriente vers la nouvelle fantastique, un genre où il atteint la perfection avec la Vénus d’Ille (1837), qu’il considère comme son chef-d’œuvre. Cette nouvelle, qui raconte à mots voilés le meurtre d’un jeune homme par une statue antique, représente effectivement une excellente illustration du récit fantastique et de l’« inquiétante étrangeté » qui le caractérise. Mérimée persiste dans cette voie avec deux autres nouvelles, Lokis (1869), qui s’inspire d’une légende lituanienne (l’histoire d’un monstre né d’une femme et d’un ours), et la Chambre bleue (posthume, 1873).

Parmi ses autres réussites, on peut citer Colomba (1840), récit écrit au retour d’une mission archéologique en Corse et qui raconte une histoire d’honneur et de vendetta. C’est cependant Carmen (1845), inspirée par ses voyages en Espagne, qui reste son œuvre la plus connue. Cette nouvelle, dans lequel José Navarro raconte comment l’amour d’une gitane l’a conduit au banditisme puis au meurtre, est une variation tragique sur le thème de la déchéance par l’amour, et d’une certaine manière, une satire des idéaux romantiques.

On doit par ailleurs à Mérimée une importante correspondance (qui a fait l’objet d’éditions posthumes), des notes de voyage (consacrées à l’ouest de la France, à l’Auvergne, au Limousin et à la Corse), des ouvrages d’érudition historique et des traductions (d’écrivains russes notamment).

L’œuvre de Mérimée a fait l’objet de nombreuses adaptations musicales, théâtrales, chorégraphiques et cinématographiques, parmi lesquelles le film le Carrosse d’or de Jean Renoir, d’après la pièce le Carrosse du Saint-Sacrement (1829), et surtout le fameux opéra adapté de Carmen par Georges Bizet.

La Vénus d’Ille (extrait)

Il est impossible de voir quelque chose de plus parfait que le corps de cette Vénus ; rien de plus suave, de plus voluptueux que ses contours ; rien de plus élégant et de plus noble que sa draperie. Je m’attendais à quelque ouvrage du Bas-Empire ; je voyais un chef-d’œuvre du meilleur temps de la statuaire. Ce qui me frappait surtout, c’était l’exquise vérité des formes, en sorte qu’on aurait pu les croire moulées sur nature, si la nature produisait d’aussi parfaits modèles.

La chevelure, relevée sur le front, paraissait avoir été dorée autrefois. La tête, petite comme celle de presque toutes les statues grecques, était légèrement inclinée en avant. Quant à la figure, jamais je ne parviendrai à exprimer son caractère étrange, et dont le type ne se rapprochait de celui d’aucune statue antique dont il me souvienne. Ce n’était point cette beauté calme et sévère des sculpteurs grecs, qui, par système, donnaient à tous les traits une majestueuse immobilité. Ici, au contraire, j’observais avec surprise l’intention marquée de l’artiste de rendre la malice arrivant jusqu’à la méchanceté. Tous les traits étaient contractés légèrement : les yeux un peu obliques, la bouche relevée des coins, les narines quelque peu gonflées. Dédain, ironie, cruauté se lisaient sur ce visage d’une incroyable beauté cependant. En vérité, plus on regardait cette admirable statue, et plus on éprouvait le sentiment pénible qu’une si merveilleuse beauté pût s’allier à l’absence de toute sensibilité.

« Si le modèle a jamais existé, dis-je à M. de Peyrehorade, et je doute que le Ciel ait jamais produit une telle femme, que je plains ses amants ! Elle a dû se complaire à les faire mourir de désespoir. Il y a dans son expression quelque chose de féroce, et pourtant je n’ai jamais vu rien de si beau.

 C’est Vénus tout entière à sa proie attachée ! s’écria M. de Peyrehorade, satisfait de mon enthousiasme.

Cette expression d’ironie infernale était augmentée peut-être par le contraste de ses yeux incrustés d’argent et très brillants avec la patine d’un vert noirâtre que le temps avait donné à toute la statue. Ces yeux brillants produisaient une certaine illusion qui rappelait la réalité, la vie. Je me souvins de ce que m’avait dit mon guide, qu’elle faisait baisser le yeux à ceux qui la regardaient. Cela était presque vrai, et je ne pus me défendre d’un mouvement de colère contre moi-même en me sentant un peu mal à mon aise devant cette figure de bronze.

Source : Beaumarchais (Jean-Pierre de) et Couty (Daniel), Anthologie des littératures de langue française, Paris, Bordas, 1988.

Carmen

Nouvelle publiée dans la Revue des Deux Mondes en 1845, puis sous sa forme complète, en quatre parties, en 1847.

Un archéologue recueille à Cordoue le récit d’une passion fatale de la bouche d’un bandit condamné à mort, qu’il a rencontré auparavant et par qui il a été sauvé du guet-apens tendu par une bohémienne, la Carmencita (I et II). Jeune militaire basque, Don José est conduit par une bagarre entre femmes à Séville à arrêter Carmen la provocante, puis à la laisser s’enfuir, au mépris de son devoir. Elle se donne à lui, puis l’entraîne dans la contrebande, où elle joue la prostituée et la rabatteuse. Meurtrier d’un lieutenant, puis de son mari, il la conjure d’arrêter cette vie, et, devant son refus, la tue avant de se rendre (III). Une brève encyclopédie des mœurs gitanes conclut le récit (IV).

Nourrie de ses voyages personnels, mais aussi héritière de Cervantès, la célèbre nouvelle de Mérimée mêle un reportage ethnographique sur une Andalousie de feu à une sèche tragédie de la captation amoureuse. Une ironie désinvolte, survivance du « premier » Mérimée, laisse à distance la réalité frémissante, violente de cette passion en Espagne. Une curiosité expressément fantasmatique réinvestit la mode ibérique des années 1830 et explore les singularités du peuple gitan, son érotique sauvage et son éthique anarchique. Don José illustre l’attraction irrésistible de ce monde inaccessible. Carmen, bijou noir, est la figure inoubliable d’une liberté incendiaire et mortelle, l’incarnation d’une jouissance fataliste. Ce tempérament est pleinement servi, en 1875, par la musique, haletante et charnelle, posée par Georges Bizet sur l’espagnolisme facile de ses librettistes Meilhac et Halévy (Carmen de Bizet).L’histoire du cinéma, de Cecil B. DeMille (Carmen, 1915) à Francesco Rosi, en passant par Otto Preminger (Carmen Jones, 1954), ne cessera de réinventer ce visage.

Voir en ligne : Mérimée sur Wikipedia

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