Casting
Réalisation
– Réalisateur : Ken Loach
Acteurs
– Billy Casper : David Bradley
– M. Farthing : Colin Welland
– Jud Casper : Freddie Fletcher
– Mme Casper : Lyne Perrie
– M. Sugden : Brian Glover
– M. Gryce : Bob Bowes
– le conseiller professionnel : Bernard Atha
– le prof de maths : Geoffrey Banks
– le laitier : Duggie Brown
– le vendeur du Fish and Chip ; Bill Dean
Production
– Producteur : Tony Garnett
D’après l’oeuvre de Barry Hines
Rôles
Billy évolue dans un monde hostile d’où la tendresse, la considération et la complicité semblent absentes. Se sentant exclu, Billy se laisse aller à son isolement et se prive volontairement de tous contacts avec les autres. Il se construit un univers personnel, fermé sur lui-même et son faucon. Ses aspirations poétiques, aériennes, ne suffisent pas à masquer son malaise et sa rivalité avec Jud à qui il rappelle systématiquement sa bâtardise. Il ne supporte pas d’être le « dominé » et l’étranger dans un foyer, où sa présence est, elle, légitime. Courant sans cesse en ville, la nature et la campagne anglaise sont le seul lieu de liberté qu’il peut s’approprier et son faucon son seul compagnon. Le jeune garçon n’aspire à sortir de l’univers étouffant que par un idéal aérien où la beauté aurait enfin sa place.
Jud sait que sa place dominante au sein du foyer familial est illégitime et ne peut asseoir son pouvoir sur ses proches que par la force. Comme Billy, il désire se sortir de cet univers asphyxiant mais n’a que des aspirations matérielles et prosaïques. L’élément animal pourrait être pour lui un moyen de s’en sortir, mais son intérêt pour les chevaux ne peut qu’être intéressé (les paris hippiques). Jud ne rêve que d’appartenir à la classe dominante pour affirmer encore plus sa supériorité mais il ne sait que s’engluer dans l’univers du pub et du prolétariat. Son narcissisme physique trahit également cette façon de se prendre pour ce qu’il ne sera jamais.
La mère subit et ne fait qu’encaisser les coups. Elle voudrait vivre ce qui lui reste de jeunesse, mais elle en est empêchée par la charge des enfants, le poids du passé et son rapport difficile avec Jud. Un seul espoir, bien maigre : reconstituer avec Reg un foyer qui a éclaté et bénéficier d’un peu de sécurité. Elle maintient une certaine autorité sur ses enfants mais le monde et la difficulté d’y vivre lui échappent. Elle ne rêve pas d’un autre univers idéal et se contente d’affronter le quotidien en face, ce qui est déjà beaucoup.
Les enseignants : Le professeur de sport, profondément narcissique, représente la pire espèce produite par l’éducation. Dictatorial et bêtement sadique, il ne maintient qu’artificiellement son rôle de guide pour les élèves en trichant ou en abusant de son autorité. À l’opposé, l’homme de lettres incarne l’idéal de l’éducateur en découvrant le désir de Billy et en lui donnant la possibilité de le réaliser. Quant au directeur de l’établissement scolaire et religieux, il représente l’éducation anglaise victorienne dans toute sa rigueur, sa bêtise, son conservatisme et son sadisme.
Mise en scène
Selon Ken Loach lui-même, Kes appartient à ses films de « dénonciation », à la différence de Black Jack, par exemple, qui raconte simplement « une histoire ». Si la démonstration est parfois appuyée, glissant vers la caricature (du corps enseignant, de Jud...), si on a pu également reprocher au film de jouer à l’excès sur la sensibilité du spectateur à travers le personnage de l’enfant, on songe ici bien plus à Dickens qu’à Truffaut, ce qui n’est pas un moindre mérite.Au premier degré, il faut remarquer l’efficacité de la dénonciation du système éducatif anglais - qui devient pour nous un certain système éducatif contre lequel ont réagi les méthodes éducatives modernes fondées sur l’éveil, l’attention et une certaine liberté. Ce système éducatif n’est pas simplement montré comme une aberration en soi, mais comme reflet d’un système social : les prolétaires sont victimes d’un système d’oppression et d’exploitation qui vise également à les maintenir dans cette situation. Consciemment ou non, la plupart des enseignants sont l’instrument de ce maintien d’un ordre injuste en considérant que l’enseignement n’a aucune raison de changer et n’a pas pour fonction première de libérer ou d’élever, intellectuellement, humainement, socialement, les élèves défavorisés. Mais le film va bien plus loin en décrivant, au-delà du système éducatif, les conditions d’existence matérielles et le désert spirituel dans lequel vivent tous les personnages.
La réussite du film ne tient pas seulement à l’interprétation du jeune David Bradley ou à la belle métaphore poétique du faucon et de son envol avant d’être terrassé non par un représentant des « exploiteurs » mais par un des plus exploités, Jud. Elle tient à l’inversion qu’opère Billy du mécanisme oppresseur en inventant, pour apprivoiser Kes, une méthode éducative ouverte et à l’écoute de l’oiseau. Si Kes reste définitivement englué dans la terre, Billy a fait un premier pas vers sa libération. Le tout est montré dans une mise en scène inexorable, respectueuse du « fait » et seulement du « fait » (comme l’enseigne le professeur dans le film), écriture cinématographique implacable à laquelle le mouvement propre de Billy comme celui de Kes tentent sans cesse d’échapper.
Joël Magny
Autres points de vue
« Il est difficile de parler sans mièvrerie du monde de l’enfance. Ken Loach y réussit parce que, au lieu d’isoler son héros dans un rêve « poétique » et abstrait, il ne cesse de le confronter à la dure réalité quotidienne. À côté de son faucon, ce n’est pas seulement la tendresse et le bonheur d’aimer que découvre Billy, mais aussi l’injustice, la méchanceté et la bassesse. Quand on lui tue son ami, il ne pleure pas. Son apprentissage est terminé. Billy est devenu un petit homme.On pense naturellement aux Quatre cents coups de François Truffaut, dont Kes nous rappelle la miraculeuse fraîcheur. Mais nous sommes en Angleterre et Dickens n’est pas très loin. »
Jean de Baroncelli, in Le Monde, 23 juin 1970.
« C’est du Truffaut à la puissance 2. Avec les larmes de Truffaut, pudeur, sensibilité, lucidité, sens de l’enfance, Ken Loach va plus loin que Truffaut dans l’analyse perspicace d’une société, des liens de famille, d’un système d’éducation, d’une organisation professionnelle, d’une province. »
Jean-Louis Bory, in Le Nouvel Observateur, 23 mai 1970.
« Les enfants quelquefois vampirisent les films qu’on leur confie, les entraînant dans une bulle flottante entre réalisme et merveilleux (Cf. La Nuit du chasseur ou Les Contrebandiers de Moonfleet).
Kes est ancré dans le réel, le faucon et son dresseur l’en ont fait décoller. Ils tirent le film à eux. Billy voudrait qu’on le traite comme lui-même traite Kes. L’oiseau est cruel et sauvage, suscitant un respect permanent, c’est un honneur pour l’adolescent de pouvoir le regarder. Billy dit du faucon qu’on peut le “diriger” mais pas “l’apprivoiser”, on dirait un film.Ken Loach veut faire oublier qu’il a une caméra pour qu’elle puisse mieux, le moment venu, se jeter sur sa proie : la démarche d’un enfant ébloui ou le vol silencieux d’un imposant oiseau. »
Mathieu Lindon, in Libération, 10-11 août 1996.
Autour du film
À la fin des années cinquante, le cinéma anglais est en crise grave. En 1959, de nombreux studios de cinéma tournent pour la télévision ou pour les firmes américaines. En 1960, le nombre de salles tombe au-dessous de 3 000. Les grands studios et les « Majors » (type Korda ou Rank) font faillite. L’essor d’une télévision de qualité, avide de documentaires, acquise très vite à une politique de légèreté des moyens de tournage, permet aux « Jeunes gens en colère » (« Angry young men ») du Free Cinema (Lindsay Anderson, Tony Richardson, Karel Reisz), dont la plupart ont d’abord été critiques, de tourner en 16 mm et en décors réels leurs premiers reportages et films de fiction. Après Samedi soir et dimanche matin (Karel Reisz), Le Knack et comment l’avoir (Richard Lester), If... (Lindsay Anderson), La Solitude du coureur de fond (Tony Richardson), les films de cette jeune vague anglaise se révélera décevante et, sur la distance, ces cinéastes seront d’excellents partenaires d’une hollywoodisation du cinéma britannique. La télévision sera à l’origine de la seconde vague de jeunes cinéastes britanniques qui apparaît à la fin des années 60 et au début des années 70.
Kes est typiquement le résultat de cette seconde vague, qui compte dans ses rangs, outre Ken Loach, Mike Leigh et Stephen Frears. Il répond parfaitement à ce cinéma « minimaliste », dans le budget comme dans l’ampleur donnée au regard qui se concentre sur des micro-sociétés, les laissés-pour-compte du contrecoup conservateur (confirmé par l’ère Thatcher) qui suivit la libération sexuelle et les illusions sociales et égalitaires des décennies précédentes.