Question :
Votre livre raconte le démantèlement du « Pays d’Avant » et décrit les conséquences qu’il a eu sur la vie de ses habitants. Est-ce cela que vous aviez en tête lorsque vous avez écrit ce livre ?
M. Gerstein :
oui, et particulièrement le sort des minorités sur lesquelles on rejette la faute, et qui sont les victimes désignées. Les Abrupts sont les Juifs, les Bosniaques, les Kurdes, les Roms, et tous les autres. Le livre raconte aussi comment le monde des contes de fées et du merveilleux a été transformé, et peut-être détruit au siècle dernier par la guerre mécanisée. Quand j’étais enfant, l’Europe de l’Est était pour moi le pays d’où venaient les contes de fées, et le pays d’origine de mon père et de mes grand-parents. Puis il est devenu le théâtre de la deuxième guerre mondiale. Dans mon livre j’essaie de combiner ces deux visions de l’Europe.
Question :
Que dit le « Pays d’Avant » des gouvernants? Et de ceux qui sont gouvernés ?
M. Gerstein :
Il dit que ceux qui sont tout-puissants un jour peuvent être conduits au poteau d’exécution le lendemain. Il dit aussi que les gouvernants peuvent être égoïstes, stupides ou mal agir – et il pose la question de leur responsabilité. Je dis à la fin que ceux qui sont gouvernés et mécontents de leur sort peuvent parfois infléchir leur situation.
Question :
À quels éléments de notre monde contemporain le « Pays d’Avant » nous renvoie-t-il ?
M. Gerstein :
Pour moi, le Pays d’Avant est le miroir de notre monde d’aujourd’hui. Par exemple, au moment où j’étais en train d’écrire le chapitre sur le procès de l’Empereur et de la Reine, et que je faisais dire à l’Empereur: « Cette Cour n’a aucune légitimité ! », j’ai entendu (Slobodan) Milosevic dire la même chose au Tribunal International de La Haye. Tout ce qui arrive aux personnages de mon livre, des gens le subissent dans notre monde d’aujourd’hui quotidiennement – à part peut-être la transformation en renard, qui est la métaphore que j’utilise pour signifier l’entrée dans l’adolescence, au moment où l’on se retrouve dans un corps étrange, plein de sensations nouvelles.
Question :
Votre livre précédent « L’homme qui marchait entre les tours », prix Caldecott, pourrait être décrit comme se passant dans un monde d’avant le 11 septembre. C’était un monde magique, un monde dans lequel tout était possible. Cependant, dans le « Pays d’Avant », on se retrouve dans un monde de dangers et d’injustice – un monde d’après le 11 septembre. Est-ce ce que vous vouliez dire ?
M. Gerstein :
Pas vraiment. Pour moi, les deux mondes coexistent : le monde de la menace et du danger, et le monde où l’on peut accomplir des choses merveilleuses, incroyables. Les deux mondes ont toujours coexisté, et coexisteront toujours. La menace, le danger peuvent prendre des visages ou des noms différents, mais les choses merveilleuses aussi.
Question :
Pensez-vous que le « Pays d’Avant » suscitera des discussions entre adultes (parents et grand-parents) et enfants ?
M. Gerstein :
Je le souhaite, et je voudrais qu’elles soient aussi approfondies que possibles, sur les sujets que nous venons d’évoquer. Mais je souhaite surtout que ce livre les aide à trouver leurs propres réponses aux questions qu’ils se posent.